Né en 1431 ou 1432, François Villon est considéré comme le premier poète moderne. Plusieurs moments de sa vie demeurent obscurs; il a tour à tour fréquenté les mauvais garçons et les grands de son époque.
Bachelier de la faculté de Paris, il tue un prêtre au cours d’une rixe en 1455 et doit fuir la ville. En 1461, après une série de vols, il est emprisonné, puis délivré sur l’ordre de Louis XI. Il publie en 1462 son Testament, qui contient plusieurs ballades et rondeaux écrits auparavant. A nouveau emprisonné pour vol, il est libéré, puis mêlé à une nouvelle rixe et condamné à la pendaison (1463). C’est alors qu’il écrit le Quatrain et l’Epitaphe (plus souvent appelée Ballade des pendus). Le jugement est annulé, mais il est banni de Paris. On ne sait rien du reste de sa vie.
Quatrain
« Je suis François dont il me poise,
Né à Paris emprès Pontoise,
Et de la corde d’une toise
Saura mon col que mon cul poise. »
Je suis François et cela me pèse, Né à Paris près de Pontoise, Et de la corde d'une toise Mon cou saura ce que mon cul pèse.
Dans ce court poème, on décèle bien l’humour souvent désespéré de Villon, notamment dans l’utilisation à double-sens du mot François, à l’époque synonyme de Français (un peu comme le prénom France de nos jours). Même quand il croit sa fin venue, Villon nargue la mort comme il a bafoué la vie.
L’Épitaphe ou Ballade des pendus
« Frères humains, qui après nous vivez,
N’ayez les coeurs contre nous endurcis,
Car, si pitié de nous pauvres avez,
Dieu en aura plus tôt de vous mercis.
Vous nous voyez ci attachés, cinq, six :
Quant à la chair, que trop avons nourrie,
Elle est piéça dévorée et pourrie, (depuis longtemps)
Et nous, les os, devenons cendre et poudre.
De notre mal personne ne s’en rie ;
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !
Se frères vous clamons, pas n’en devez
Avoir dédain, quoique fûmes occis
Par justice. Toutefois, vous savez
Que tous hommes n’ont pas bon sens rassis.
Excusez-nous, puisque sommes transis, (morts)
Envers le fils de la Vierge Marie,
Que sa grâce ne soit pour nous tarie,
Nous préservant de l’infernale foudre.
Nous sommes morts, âme ne nous harie, (moleste)
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !
La pluie nous a débués et lavés, (lessivés)
Et le soleil desséchés et noircis.
Pies, corbeaux nous ont les yeux cavés,
Et arraché la barbe et les sourcils.
Jamais nul temps nous ne sommes assis
Puis çà, puis là, comme le vent varie,
A son plaisir sans cesser nous charrie,
Plus becquetés d’oiseaux que dés à coudre.
Ne soyez donc de notre confrérie ;
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !
Prince Jésus, qui sur tous a maistrie,
Garde qu’Enfer n’ait de nous seigneurie :
A lui n’ayons que faire ne que soudre. (payer)
Hommes, ici n’a point de moquerie ;
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre ! »
« La littérature de Villon est celle d’un poète docte (et non populaire), d’une distinction profonde. Clément Marot signale l’antiquité de son parler, sa façon de rimer, « les meslées et longues parenthèses », « les sentences (phrases) belles comme fleurs », l’esprit. Il aurait pu aussi nous parler de sa musique, de l’expression, de la sensibilité. Villon réussit à nous faire reconnaître son désir de vivre intensément et c’est cela qui rend chez lui l’idée de la mort si bouleversante. Il a vécu ardemment, dangereusement. A le lire, nous vivons à notre tour comme l’hallucination d’un destin, comme la vie d’une âme. »
(extrait de l’introduction à mon édition en poche, par Robert Guiette).
Je n’aurais pu mieux dire, et clairement la musicalité de ses vers et ce désir de vivre intensément, quels que soient les risques que cela comporte, sont ce qui me parle le plus chez Villon.
Vu que les deux précédents font partie des plus connus, je me permets d’y ajouter l’un de mes préférés qui, je trouve, correspond plus à l’image de fêtard, bagarreur, coureur de jupons aux mauvaises fréquentations que je me fais de Villon.
Ballade de merci
« A Chartreux et à Célestins,
A Mendiants et à Dévotes,
A musards et claquepatins, (désoeuvrés et élégants)
A servans et filles mignottes
Portant surcots et justes cottes,
A cuidereaux d’amour transis, (galants présomptueux)
Chaussant sans méhaing fauves bottes, (douleur)
je crie à toutes gens mercis.
A fillettes montrant tétins,
Pour avoir plus largement hôtes,
A ribleurs, mouveurs de hutins, (voleurs, faiseurs de tapage)
A bateleurs, trainant marmottes,
A fols, folles, à sots et sottes,
Qui s’en vont sifflant six à six,
A vessies et mariottes, (marottes)
Je crie à toutes gens mercis.
Sinon aux traîtres chiens mâtins
Qui m’ont fait chier dures crotes (cher – croutes)
Mâcher maints soirs et maints matins,
Qu’ore je ne crains pas trois crottes.
Je fisse pour eux pets et rottes;
Je ne puis, car je suis assis.
Au fort, pour éviter riottes, (querelles)
Je crie à toutes gens mercis.
Qu’on leur froisse les quinze côtes
De gros maillets, forts et massis, (massifs)
De plombées et tels pelotes. (boules de plomb)
Je crie à toutes gens mercis. »
Et si cela vous plaît, un joli choix de ses écrits est disponible ici et l’intégrale de son oeuvre, accompagnée d’une biographie, d’un glossaire, d’un contexte historique, etc. est disponible pour trois fois rien en livre de poche.