Archives mensuelles : avril 2014

Pour les anglophones qui me fréquentent : poème osé !

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Classé dans Poésie

A est pour Arbalestrie

Après le suicide de mon père, ses amis avocats furent un soutien précieux pour ma mère. Il est pourtant peu fréquent qu’une femme célibataire – quelle que soit la raison de ce célibat – soit aussi bien accueillie qu’elle le fut par les familles Evaldre et Collinet.

Les Evaldre étaient tous deux avocats au barreau de Charleroi. Jean, d’origine italiennne, était petit, doté d’une fine moustache, hâbleur, dragueur, gouailleur, rêveur. Il appréciait aussi la bonne chère et le bon vin. Son épouse, Yvette, était plus gironde et beaucoup plus terre à terre : c’était clairement elle qui tenait la baraque. Et comme ma mère portait le même prénom qu’elle, elle devint YvettA (pour Arbalestrie), le YvettE étant réservé à Madame Evaldre.

Cinq enfants étaient nés de cette union, parce que Jean tenait à avoir un fils et avait raté son coup à trois reprises. Anne, l’aînée, était grande, bien bâtie et avait les pieds sur terre, comme sa mère. Nele avait pris de son père les cheveux noirs, la sveltesse et le côté fanfaron. Catherine était plus timide et fleur bleue que ses soeurs. Puis étaient enfin venus deux fils : Olivier, champion toutes catégories en procrastination tant à l’école que dans la vie – au moment des corvées, il avait l’art de disparaître aux toilettes pendant une demie heure – et Christophe, vierge et premier de classe comme moi, avec lequel j’eus le plus d’atomes crochus. J’avoue que j’étais aussi un peu amoureux de Nele.

Les Collinet étaient aussi tous deux avocats (puis juges) et avaient une fille, Marianne, et un garçon, Fabian. François était un bon vivant roux, corpulent et un peu dégarni, d’une bonne humeur communicative. Il aimait beaucoup les voyages et puisait dans cette passion matière pour les merveilleuses histoires de Coin-Coin Jambe-de-bois, destinées au départ à ses enfants, mais qui attiraient toujours un public bien plus vaste et varié. Françoise, son épouse et amour de jeunesse – ils s’étaient connus à l’université – ne pouvait enfanter : Marianne et Fabian avaient donc été adoptés.

Tous ces gens aimant beaucoup la bonne bouffe et se débrouillant aussi bien pour la préparer que pour la faire disparaître, les banquets gastronomiques étaient très fréquents. Le genre de repas où les convives entament l’apéro vers midi, terminent leur deuxième dessert vers dix-huit heures et se remettent à table pour souper deux heures plus tard. Entre les sept Evaldre (plus les petit(e)s ami(e)s, puis les enfants), les quatre Collinet , ma mère et moi, plus l’un ou l’autre invité (et parfois aussi la femme de ménage, son mari et ses enfants), nous étions en général au moins vingt-cinq à table. C’était évidemment toujours des événements que j’attendais avec impatience et qui se préparaient à l’avance, chacun amenant au moins un plat pour contribuer au festin : deux entrées, poisson, viande, plateau de fromages, deux desserts, café et pousse-café étaient le strict minimum, accompagnés bien sûr des boissons ad hoc (Marsala ou Porto pour accompagner le melon au jambon de Parme, Sancerre pour le foie gras et le reste à l’avenant) !

C’est ainsi que, contrairement à beaucoup d’enfants de mon âge, plus habitués aux spaghetti jambon-fromage ou aux boulettes-sauce tomate, je passai une bonne partie de mon temps à participer à la confection -suivie de la dégustation – de gaspachos, soufflés, zarzuelas, coquilles Saint-Jacques au gratin, brochets farcis et autres cailles aux raisins. Sans oublier la grande spécialité de ma mère : les desserts ! Sorbets, crêpes flambées au Grand Marnier, gaufres et beignets, pain perdu, quatre-quarts, marbrés et gâteaux de Savoie … Ma mère améliorait d’ailleurs l’ordinaire en organisant un service-traîteur pour des mariages et ses pièces montées valaient à elles seules le déplacement.

J’en tirai par la suite de nombreux avantages. Ainsi, à la mort de mon grand-père – je devais avoir huit ou neuf ans – ma mère hésitant à m’emmener me demanda ce que je préférais; moi-même indécis, je finis par décider de ne pas m’y rendre. En dix minutes, elle m’avait expliqué comment me faire à manger à partir des victuailles disponibles et je pus échapper à ce calvaire. De même, lorsque je pris un kot à Bruxelles pour y fréquenter l’université, je n’esu aucun mal à me débrouiller pour varier agréablement mes repas. Et enfin, lorsque je commençai à travailler dans l’Horeca pour payer mes études et devenir indépendant, les tâches que beaucoup auraient considéré comme des corvées (servir et desservir les tables ou faire la vaisselle, par exemple) étaient pour moi devenues un réflexe, et préparer un Irish Coffee ou servir une Rochefort 10 un plaisir.

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Maracle

 

Après la mort de sa mère, vedette du parc d’attraction familial, et l’installation à proximité d’un site concurrent bien plus moderne, Ava Bigtree voit son père se réfugier dans des projets irréalistes, sa soeur Ossie dans le spiritisme et son frère Kiwi dans ses rêves d’études. Mais elle est prête à tout pour sauver de la faillite l’entreprise familiale, Swamplandia !

Ce petit bijou de poésie enfantine a été sélectionné par le New York Times comme l’un des cinq meilleurs romans américains de 2011, finaliste du prix Pulitzer et adapté pour la télévision par HBO.

Extraits :

« Le langage des vivants pleut sur les morts et souvent nos communications peuvent les submerger. La grêle de nos mots peut être trop intense pour eux… » (extrait du Télégraphe Spirite)

« Nous n’avions qu’un seul mammifère, Judy Garland, une ourse brune de Floride (…) Elle savait faire un tour, enfin une sorte de tour : le Chef lui avait appris à hocher la tête pendant Somewhere over the Rainbow. Une horreur. Ses dodelinements terrifiaient les petits enfants et scandalisaient leurs parents. « Au secours ! s’écriaient-ils. Cette bête a une crise cardiaque ! » C’est vrai qu’elle n’avait pas le sens du rythme. »

« La plupart des touristes restaient après avoir appris la nouvelle, mais quelques uns demandaient à être remboursés. C’étaient toujours ceux qui avaient fait le moins de chemin qui se montraient les plus exigeants. A croire que la mort de maman était juste une arnaque. « Notre sortie du Mardi ! » se lamentaient ces vieilles dames aux cheveux bleutés. Elles avaient payé pour assister au numéro de Hilola Bigtree; on ne faisait pas quarante minutes de ferry pour manger des hot dogs en compagnie de reptiles et d’enfants éplorés !

Pour ces très vieilles gens, nous avait expliqué le chef, la mort des autres était comme un phénomène météorologique, un truc embêtant comme une averse. « Si elles font de l’esclandre, fourguez-leur le pack… »

J’en venais à détester ces rouspéteuses, avec leurs rouges à lèvres fendillés, leurs rides et leurs chapeaux de paille mous aux bords aussi larges que les anneaux de Saturne. Je murmurais à Ossie que je voulais voir le registre de ,l’avion de la Mort. L’embarquement se faisait dans un ordre vraiment stupide.

Le chef avait concocté un pack « spécial vieille peau » que nous étions censé leur refiler si elles voulaient un remboursement : un chapeau en caoutchouc mousse conçu pour donner l’impression qu’un alligator vous dévorait la tête, un collier flamant rose en strass, cinquante cure-dents vert et ambre dans leur coffret souvenir et un folioscope représentant maman. si on le feuilletait assez vite, cela faisait comme un dessin animé rudimentaire : d’abord elle plongeait, puis son corps fendait le bassin par son milieu en laissant un trait vert. Mais on avait découvert, ma soeur et moi, qu’en le feuilletant à l’envers, notre mère revenait en arrière. Alors, les bulles rentraient sous la surface lisse et unie, maman atterrissait sur le plongeoir à l’issue d’un brillant arc de cercle à rebours. Elle volait comme une pierre laissant une vitre intacte. Le verre se reconstituait et on se retrouvait au début du petit livret. Qui aurait pu se plaindre après cela . »

« Swamplandia », de Karen Russell, Le Livre de Poche 33247, 7,60€.

 

 

 

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La malédiction du GSM


Août 2005 : après cinq ans de chômage – moi qui n’avais jamais été inactif depuis mes 18 ans – le patron d’un bar où j’avais travaillé à l’époque de l’unif me propose un emploi. Réalisant très bien que je vais gagner moins qu’au chomage (20-25 heures/semaine à 7€ de l’heure, c’est vite calculé), j’accepte néanmoins : le chômage, c’est drôle les six premiers mois, mais ça lasse vite. Et je fais bien, car je renoue plein de contacts sociaux et me sens de nouveau utile à quelque chose. Mais le bar ne marchant pas très bien, le nombre d’heures prestées commence à diminuer et le patron est exclusif : pas question que je travaille aussi ailleurs, même à l’autre bout de Bruxelles.

Finalement, en 2008, ne m’en sortant plus financièrement, je commence quand même à travailler aussi dans mon bar préféré deux à trois fois par semaine. Je ne vous dis même pas le sport pour goupiller deux horaires de nuit dans des bars quand il faut cacher ce fait à un de vos deux patrons !

21 Avril 2009 : Je décide de fêter mon cinquantième anniversaire avec 4 bons mois d’avance, sentant que je ne vais pas rester dans la forme olympique qui est la mienne jusqu’en septembre. Ayant invité une centaine de personnes (je fais ça dans un bar), je me retrouve équipé d’un verre de vodka magique : il ne se vide jamais ! Dès que ça risque d’arriver, il y a toujours quelqu’un qui me demande « Qu’est-ce que tu bois ? » Résultat des courses, quand je quitte le bar vers les 5 heures du mat’, je suis passablement torché.

Ce qui ne m’empêche pas, vu que la jeune fille qui a tenu à me raccompagner chez moi est aussi celle pour laquelle j’ai le béguin depuis plus d’un an, de lui conter fleurette chemin faisant. Bref, on arrive devant chez moi (à cent mètres du bar), on se dit à demain, j’ouvre ma porte, allume, fait deux pas et … m’étale comme un malpropre dans le couloir ! J’arrive tant bien que mal à monter les trois volées d’escalier et vais cuver quelques heures.

22 avril : je vais bosser l’après-midi, après avoir constaté la disparition de mon GSM à mon réveil. Je me dis que je l’ai sûrement laissé dans le bar et que j’irai le récupérer après le taf. La zoulie mademoiselle de la veille passe pendant mes heures de barman. Une fois venu le calme d’après 14:00, je vais m’installer à sa table, m’excuse d’avoir été peut-être un peu entreprenant la veille, tout en insistant sur le fait que je ne change rien à mes dires pour autant. Elle prend la nouvelle avec humour, me dit que je n’ai rien fait qu’elle regrette, bref … je lui demande si elle est libre ce soir là et nous nous fixons rendez-vous pour un resto.

Tout à mes amours, je pense quand même à passer au bar de la fête d’annif : pas trace du G. Bon, un Nokia de quatre ou cinq ans d’âge, je ne vais pas en faire une maladie non plus, hein.

23 avril : Je me lève tout guilleret, après avoir passé un très bon moment avec Miss X la veille (puis retravaillé le soir) et tombe sur ma voisine du dessous qui, me tendant mon téléphone, me demande s’il ne serait pas à moi. En fait, en m’étalant dans le couloir, mon G a jailli de ma poche pour aller se cacher dans la pénombre, où elle l’a retrouvé. Je la remercie et m’excuse du bruit occasionné, lui expliquant que je fêtais mes 50 balais. « Cool ! », me dis-je, « j’ai la baraka en ce moment ! » Grave erreur, que je ne vais pas tarder à réaliser !Loin de me douter de ce qui m’attend, je vais me balader en forêt avec Miss X l’après-midi et, avant de se quitter, elle m’invite à passer chez elle après le boulot (j’arrête à minuit ce jour là). Je n’en crois pas ma chance !

24-25 avril : Etonnamment reposé après deux heures de sommeil, je vaque à quelques occupations, puis passe le restant de la journée et la nuit en agréable compagnie. C’est en fin d’après-midi, le 25, que les choses vont commencer à se gâter. Je reçois comme toutes les semaines un SMS de mon gérant, mais au lieu de me communiquer mon horaire, il me signifie ma mise à pied immédiate pour cause de « travail chez la concurence ». Je me doutais bien que ça arriverait un jour ou l’autre; par contre, qu’un patron pour qui j’ai travaillé 12 ans au total n’aie même pas le courage de me le dire lui même et choisisse de déléguer le sale boulot à son gérant (et par SMS en plus), ça me reste en travers de la gorge.
Comme en plus, je ne travaille pas ce soir là et que ma dulcinée bien, je me retrouve donc à sillonner les bars en réfléchissant à l’opportunité d’une riposte. Mais après avoir imaginé quelques scénarios de vengeance plus délirants les uns que les autres, je décide d’attendre de m’être calmé avant de prendre une décision. Je vais coucher tard et dort très mal.

26 avril : Le lendemain, après le boulot, je n’ai aucune envie de rejoindre mon flat cafardeux, pour me retourner des heures dans ma couche à vainement chercher le sommeil. Je fais donc la tournée des Grands Ducs et me retrouve passablement émêché, en colère, désespéré (par les problèmes de thunes à venir) et terriblement seul. C’est à ce moment là que mon maudit GSM me pousse à commettre l’irréparable : j’envoie à ma nouvelle conquête un SMS mentionnant (en capitales, oui)  « JE T’M ». Oui oui, comme dans How I met My Mother !

27 avril : Je me réveille tard et encore saoul de la veille et Miss X, après avoir d’abord décalé notre rdv, m’en fixe un autre « pour parler ». Je réorganise donc ma journée en fonction et m’y rend. L’esprit toujours bien embrûmé, je mets cinq bonnes minutes à comprendre qu’elle est tout simplement en train de me plaquer.

Et voilà comment, en moins d’une semaine, ce GSM du Diable m’aura coûté mon travail et ma nana. Pour la petite histoire, j’ai fini par vraiment le perdre quelques semaines plus tard et bon débarras ! Je me demande d’ailleurs si je ne l’aurais pas volontairement laissé traîné sur le comptoir d’un bar dans l’espoir de transmettre à un autre sa malédiction !

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